Le continent Langevin Un inédit
de Gilbert Langevin : « Méditaphe » |
"
Méditaphe " est rédigé à l'encre bleue
sur quatre feuilles volantes non lignées de 8,5 pouces sur 11 pouces.
La quatrième page, où on lit " Méditaphe HND [Hôpital Notre-Dame] 1994 sept. ", comporte non seulement l'épigraphe de fermeture, mais aussi un dessin maintenant reproduit en couverture de « Poévie », anthologie des textes et écrits de l'auteur. Le manuscrit a été offert par Gilbert Langevin à Normand Baillargeon en septembre 1994, peu après que le poème eut été écrit. La petite histoire voudra peut-être savoir que le poète avait demandé à son ami de lui rendre visite à l'hôpital, le priant d'apporter une enregistreuse : il désirait lui parler, mais aussi que quelque chose soit conservé de cet entretien. Quand son ami l'a quitté, ce jour-là, Langevin lui avait donné deux textes. Il le laissait libre de publier un jour le premier, " Méditaphe ". Le second était un texte plus personnel, à son ami seul adressé. Des motifs précis ont fait apparaître comme souhaitable de faire connaître " Méditaphe ". D'abord, il s'agit d'un texte travaillé, appartenant d'emblée à l'uvre. Ensuite, il enrichit cette uvre dans la mesure où il constitue une incursion dans un territoire rarement abordé par le poète, celui de la méditation poétique se tournant douloureusement vers la subjectivité. De plus, il présente encore, du point de vue formel cette fois, un cas lui aussi peu fréquent dans l'uvre (70 vers, précédés d'une épigraphe en vers et suivis d'une épigraphe qui semble plutôt en prose), notamment dans l'uvre tardive où les poèmes tendent nettement à la concentration et à la brièveté. Par ailleurs, 42 des vers du poème comptent 6, 7 ou 8 syllabes, et cette métrique est précisément celle, chez Langevin tout particulièrement, de la chanson et du poème bref. Pistes de lecture Le titre constitue un mot-valise, croisant méditation et épitaphe, qui introduit d'emblée ce qui sera le sujet et, sinon le genre, du moins le ton du poème. C'est que dans " Méditaphe ", comme c'est le cas dans " Auto-psy ", le poète entreprend une démarche réflexive placée sous le signe de la mort, de la maladie et de la souffrance. On remarque d'ailleurs une certaine isomorphie formelle entre les titres de ces deux textes. " Auto-psy ", cela renvoie à un moment de retour sur soi (auto-) comme peuvent nous y inviter les disciplines qui constituent le champ des sciences du psychisme - psychologie, psychiatrie, psychanalyse. Mais cette démarche est aussi marquée par l'emprise de la douleur, de la souffrance, de la mort, et c'est aussi d'une autopsie qu'il s'agit. " Méditaphe ", de même, évoque l'idée de méditation, de retour réflexif - on parle couramment des méditations en ce sens au moins depuis René Descartes (Méditations métaphysiques, 1641) -, et le mot a fait depuis longtemps son apparition dans la poésie (Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, 1620) . Mais cette méditation est aussi une épitaphe, c'est-à-dire un signe tracé à la frontière de la vie et de la mort, un signal que le poète, en voie de disparition voire tenu pour mort, laisse au vivant en l'épinglant là, comme une épigraphe, Ici, clairement, Langevin fait écho à Tristan Corbière (" Épitaphe ", Les amours jaunes, 1873) . Le procédé qui permet la construction de méditaphe est récurrent dans l'uvre du poète qui, dans le seul champ sémantique de poésie, a proposé, entre autres, poéVie, poétude, poévision, poégramme et poégraphe. Dans " Méditaphe ", ce même procédé a produit trois, sinon quatre néologismes : luance (v. 27), par croisement de lueur et nuance; focailler (v. 42) qui, bien qu'orthographié tel quel dans le Dictionnaire des canadianismes , pourrait être généré par le croisement de focalisation et fuckailler; vanitarium (v. 43), par croisement de vanité et solarium ou auditorium (il s'agit d'une voix); et désirure (V. 58), par croisement de désir et sciure (éclisse et dévisse, associés au bois ne sont pas loin), voire déchirure. Le poème s'amorce sur le motif de la voix, lequel, avec ceux du langage et de la parole, peut être tenu pour emblématique de toute l'uvre de Langevin. La voix est en effet le motif autour duquel se noue le projet même de la poésie (deux exemples : " Avec les simples munitions de ma voix / j'ambitionnais de fendre des emblèmes " et " je me suis attelé à la tâche souveraine / de faire l'élevage de ma voix mise à nu "), projet dont l'ampleur et les dangers qu'il fait courir peuvent eux-mêmes se formuler dans les termes d'un rapport au langage et à la parole (ici encore, deux exemples : " Au portique mal éclairé de mon langage / c'est vrai que je me débats comme un fou " et " ô ma tête sous les rouages de la Parole "). " Méditaphe " s'amorce précisément là (" une voix sans voix / une voix de soif ") où, il y plus de vingt ans, la célèbre chanson " La voix que j'ai " se terminait presque : " cette voix qui se meurt de soif / à bout de justice et de joie ". À partir de focaillent et de vanitarium, justement, des allusions historiques viennent ponctuer le poème. On notera
notamment la référence à l'institution judiciaire
de la Saint-Vehme (V. 46), qui est un tribunal en exercice en Westphalie
de la fin du Moyen Âge au début du XVIe siècle,
et qui est demeuré célèbre pour la radicalité
de son fonctionnement et la dureté de ses verdicts. La Saint-Vehme
- ou la Vehme - " ne prononce que deux verdicts, l'acquittement
ou la condamnation capitale, exécutée dans les plus brefs
délais. " Cette institution, inspirant la crainte et rendant
très difficile pour les plus humbles d'obtenir justice, est une
référence courante dans la littérature romantique,
et c'est vraisemblablement par ce biais qu'elle est connue du poète. Le parcours poétique de Langevin, dans la mesure où on s'autorise à chercher à le caractériser dans son ensemble, tire une part substantielle de son originalité de ce qu'il vise à surmonter, dans et par le langage, des contradictions tenues pour insupportables - entre transcendance et immanence, révolte et fraternité, nature et culture, panthéisme et foi, etc. Ce parcours poétique, où la parole se fait " psychagogique ", et la poésie, saisie métaphysique de l'instant, côtoie dès lors, de manière intense et urgente, ce qu'on peut brièvement caractériser comme le religieux, du moins si l'on consent à vider ce vocable de toute référence à des formes instituées. " Méditaphe " nous paraît être un texte où le poète affronte, d'une manière dont toute compromission est absente, l'éventualité sinon de l'échec, du moins de la possible impossibilité de tenir, dans les termes mêmes où il a été par lui formulé, le pari sur lequel sa vie et son uvre ont reposé. Au terme de ce terrible diagnostic, on ne saurait trouver uniquement de la simple amertume. Ce qui surgit se désigne sans doute beaucoup mieux du concept d'angoisse, au sens ontologique que Kierkegaard, philosophe danois du XIXe siècle, a donné à ce sentiment où se mêlent désir et crainte devant le dévoilement du néant et de l'absurde de la vie. C'est de cela, entre autres, qu'il a été question entre Gilbert Langevin et moi, ce jour de septembre, à l'hôpital Notre-Dame. Mais on sait bien que le poète ne pouvait s'en tenir longtemps à une telle position de désespérance |
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Poème
inédit
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Section
présentée par
Huguette Bertrand dans son Espace Poétique, 4 juin 2005
avec la permission de Normand Baillargeon, l'auteur de ce document. photo : Studio Théâtre da Silva © Tous droits réservés pour tous pays |
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