Yves BRILLON


    DÉSESPÉRANCE

    On garde le secret de nos larmes
    On se tait
    Par habitude
    Par lassitude
    On laboure son champ
    On creuse les sillons
    Le temps nous pousse
    On presse le pas
    On n'en peut plus
    On est là
    Tellement las

    On tourne en rond
    On courbe l'échine
    La fin semble imminente
    La solitude nous tutoie
    Sans façon
    On se sent à l'abandon
    Seul Abandonné

    Quelqu'un viendra-t-il
    À notre secours
    Quelqu'un entendra-t-il
    Nos cris
    La misère n'a plus de voix
    La souffrance se replie sur soi
    Discrétion
    On ne montre pas ses plaies
    Ni son visage d'affamé
    Ni ses traits tirés
    Ni ses maladies
    Ni ses infâmies
    Cela est inconvenant
    Dérange les gens
    Fait du mal à ceux qui n'en ont pas
    Silence
    Silence

    On rentre dans son coquillage
    On se sent à l'abri
    On ne dit mot
    Tout a été dit
    On enlève son maquillage
    On se met à nu
    Personne ne viendra
    Personne n'est venu
    Désespérance
    On se tait
    On s'est tu

    INQUIÉTUDE

    Regard éperdu
    Sur le monde
    Inquiétude
    L'oeil est à vif
    Le coeur n'en peut plus
    Il bat par habitude
    Faute de mieux
    Retient son souffle
    Anxieux
    Peur de se figer
    Crainte de s'arrêter
    La mort rôde
    Il bat et s'essouffle
    Écoeuré

    Voilà que l'on vient
    Pas un mot
    Il faut rester silencieux
    Les ombres parlent
    S'agitent et crient
    On a peur du bruit
    Du bruissement
    On écoute ce qui se dit
    Poliment
    On finira bien par se réveiller
    Complice malgré soi
    On ne peut rester immobile
    Qu'on se lève et proteste

    Tout autour
    Les gens crèvent
    Égorgés
    Les vautours
    Tournoient au-dessus de la ville
    Le sang coule
    Sous le croissant vert
    La lune rougit
    Sur fond d'étoiles
    Magnifique ciel bleu

    Personne ne veut savoir
    On fait semblant
    Tout va bien
    Sous le ciel d'Orient
    Comment allez-vous
    Très bien merci
    Et le sang coule
    En sanglots
    Personne n'entend donc les cris         
    Ils viennent de si loin
    C'est vrai
    De si loin, si loin
    D'Algérie



    LES VILLES

    Entre ciel et terre
    Les villes furent érigées
    Ceinture de béton
    À la queue leu leu enlignées
    Murs solides de notre prison

    L'arbre fut déraciné
    Séparé de sa sève
    La pierre taillée
    Coupée, emprisonnée
    Le champ envahi
    Privé de son rêve

    Ils ont construit les rues
    Les ont faites étroites
    Ont élevé les murs gris
    Se sont claustrés à l'ombre
    Sont devenus aigris
    Il n'y a plus d'horizon
    Plus de fleurs en moisson

    L'amour oublié
    Enseveli
    Par les mesquineries
    Le soleil dérobé
    Par la pesante fumée
    En vain, espoir
    J'ai cherché dans l'enceinte
    Ton ombre

    Entre ciel et terre
    Les villes furent érigées
    Ceinture de béton
    À la queue leu leu enlignées
    Murs solides de notre prison
    Prison où l'on est pris
    Chaînes aux mains
    Chaînes aux pieds
    Le coeur esseulé
    Le coeur à l'abandon


L'ÎLE DE CALLIOPE

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