Jean DIF |
Le Guide du Routard
Partir parce que je ne suis qu'une ébauche et qu'il me manque toujours quelque chose, une main, la moitié du coeur ou le dernier vers d'un poème; parce que l'horizon déborde de promesses et le futur aussi, malgré toutes ces libérations achevées dans des casernes. Pour me rendre où? Le sais- je? Qui oserait me dire qui je suis (du verbe être ou du verbe suivre), qui j'esquive ou qui je pourchasse? Pour me fuir ou me retrouver, quand bien même l'on ne s'évade pas de soi-même. Bouger pour me libérer des entournures et faire craquer les parenthèses. Cheminer pour donner issue à ce feu qui me dévore, tisonné par l'impatience, ce besoin de me prouver capable; parce que découvrir est presque synonyme d'inventer. Errer, dompteur de chimères, saltimbanque de l'inouï. Flâner, insane, à travers les vocables qui se hèlent, dans les contrées virtuelles du sommeil, quand la pleine lune est une auréole qui a perdu la tête et que les draps font voile. À la merci d'un iceberg. Marcher parce que le mouvement est l'unique preuve de la vie. Parce que je ne suis pas du bois dont on fait les arbres et que même ceux-ci, à travers la liberté des feuilles, rêvent de secouer la terre de leurs racines. Migrer, hanté d'ailleurs, parce qu'ici n'est pas à ma démesure. Parce que je suis las de me cogner toujours aux mêmes. Pour les fraternités renouvelées ou pour trouver enfin un miroir fidèle. Promener mes angoisses entre les différences et les analogies, du Québec poudré à la Terre de Feu, de l'île de Pâques à celle de Robinson, du désert d'Atacama aux pléthores de Bombay, de l'Angleterre où l'herbe est grasse à l'Espagne où l'on boit dans ses bottes, des Chinois suceurs de canines aux Canariens qui parlent en oiseaux, des pololas de Santiago aux blondes brunes du lac Saint Jean. Lieux insolites qui m'intriguent, m'enthousiasment ou me choquent, ensemencez moi. Je ne vous semoncerai pas. Je ne suis pas venu pour donner des leçons mais pour en recevoir. Remuer parce que tout remue, de l'électron aux planètes. Parce que le repos ne serait qu'une pâte sans levain si l'escale n'était pas le tremplin de nouvelles escalades; parce que je suis né au siècle de la célérité, celui des records, des trains à grande vitesse et des aéronefs; parce que mes étoiles me démangent; parce que mes semelles sont faites pour user la terre jusqu'à la rendre transparente, comme une lampe. Vagabonder pour aider le hasard à provoquer l'étonnement Vaquer d'ides en calendes, de gares en ports, de visions en souvenirs, abeille dont la ruche est un livre d'histoires. Voyager parce que les chemins à frayer m'interpellent; parce que je porte, ancré en moi comme une lame, le sentiment toujours d'être en transit; parce qu'avant d'être rendu à mon éternité rocheuse, je voudrais tout avoir vu et tout avoir compris. Vaincre le coureur émacié qui brandit sa flamme d'acier, sur mes talons. Arriver hier. Changer d'endroit afin de rajeunir. Pour rattraper le temps perdu en d'insipides activités alimentaires. Me noyer dans la mémoire. Au milieu du Pacifique, en un lieu sans embarras, pour peu que l'on se déplace dans le bon sens, les horloges procurent de ces étrangetés. Adieu, dites-vous. Êtes-vous si pressés de m'envoyer au diable?
Jean Dif - 14.11.99 - Tous droits réservés |