Bernard GIUSTI


 


Les mots


Humbles corbeaux penchés sur la terre noire épaisse,

Charrues de la douleur ou jolis doigts graciles
Imprimant leurs sillons dans le sable de craie,

Soleils éblouissants des eaux bleues pacifiques
Ou nuit d'encre et de cris sur la nature aveugle,

Les mots sont impuissants et gouvernent le monde.

Nous les suivons des yeux quand parfois ils s'envolent,

Et nos yeux s'illusionnent de quelques battements d'ailes
Qui ne font que décrire en de savantes courbes
La froide solitude, éternelle et tranquille,

D'une ombre qui explore un désert en plein ciel.

 

 

Tandis que les mots disparaissent en échos, nous restons sur la rive,

incertains de nos rêves

Seul subsiste le silence, blessure sans cesse ouverte où s'engouffrent les

chimères

Et bientôt il ne reste plus que cette indicible absence qui porte le vertige

au plus profond de notre être.

 

 

La mémoire parfois déploie ses ailes et s’élance.

Elle rassemble les morceaux épars de nos vies émiettées

Elle donne aux morts l'illusion de la vie, et elle donne aux vivants l'illusion

de l'avenir.

Mais comment oublier ce qui fut marqué au fer rouge ?

Certaines cendres seront à jamais plus brûlantes que les braises.

 

 

Clartés


Voilà ma nuit, ma nuit étrange, bien étrange...
Elle ressemble à un écho,
Elle ressemble aux étoiles que l'on voit scintiller
Et qui pourtant sont mortes depuis longtemps déjà :
Comment pourrais-je me guider
Sans la lumière de ces fantômes ?
Dans ma nuit, on n'y voit rien,
Comme en plein jour...

Mes ombres y sont si nombreuses
Qu'elles se bousculent et se piétinent,
Se pressent autour de moi
Comme un halo funèbre ;
Si nombreuses que lassées de se confondre
Elles s'enfuient une à une,
Me délaissent
Et rayonnent jusqu'à l'aube
Pour retourner vers les astres d'où elles naquirent.
Pourquoi m'en préoccuper ?
J'ai tellement d'ombres
Et il y a tant d'étoiles...

Pour chacune qui s'en va
C'est un peu de lumière qui d'abord me poignarde
Puis s'engouffre par la plaie pour me noyer un peu :
C'est drôle,
Je suis couvert de plaies,
Je ne suis que blessures
Et mon sang reste en moi,
N'abreuvant ni la terre ni les hommes.
Mon sang n'est pas fait pour étancher la soif
De tous ceux qui se cherchent sous des soleils aveugles,
Mon sang est à ma nuit,
Il ne peut me quitter ce sang indomptable :
En moi, au plus profond,
Il transporte la lumière des ombres évanouies.
C'est un sang bien étrange qui me sauve du naufrage...
 
Ma nuit est douce, cruelle, tendre et fragile,
Elle me berce et m'endort, me torture et me broie,
Me réveille en sursaut dans des mondes de cauchemar
Et me prend par la main pour des pays de rêve.

Ma nuit est en sursis :
Un jour viendra où je n'aurai plus d'ombres à lui donner
Ni de lumière à lui reprendre.
Mon sang commencera à couler
Pour étancher la soif
De ceux qui se recherchent comme aveugles en plein jour.
J'aurai assez de sang pour garder ma lumière,
Bien assez de sang pour en donner un peu,
Bien assez pour continuer à vivre.

Comme elle est drôle, ma nuit !
S'imagine-t-elle que je disparaîtrai
Lorsqu'elle m'aura laissé ?
Je commencerai à vivre
Bien avant qu'elle ne meure...

 

 


ô
la
vie
sois
douce
et calme
nuage blanc
paisible et nue
comme le miroir
des étoiles filantes
mes yeux changeants
se décillent sur le vide
hurlant de mes amours
mes regards se dévoilent
sous ton voile de tendresse
instants évanescents et flous
où éclate un lumineux cristal
au creux de mes mains brûlées
indolente nuée qui balance des hanches
vibrant reflet de mes caresses ardentes
aime-moi comme tu aimes ton visage
comme une amante après l’amour
la chevelure de ma page blanche
s’abandonne au frémissement
de ta peau d’ambre et de feu
dédale intense de mes nuits
où s’aveuglent mes désirs
tes lèvres pures explosent
tendre béance du plaisir
dans tes reins de corail
où je vais te rejoindre
comme une blessure
au front des rêves
tout devient songe
hors mon amour

 

 

Bernard Giusti
extraits du recueil
SILENCE
10 août 2000 - Tous droits réservés

 

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