JUSQU'À L'EXTRÊME REGARD

poésie de Huguette Bertrand

Deuxième partie

 

Déchirée par les départs toujours présents
la douleur s'apaise
quand le souffle rejoint le geste
ce battement de vie
à même ton âme greffée à la mienne

Coincée entre l'espace et le temps
mes mots en se taisant crient à tue-tête
dans ce rêve sorti tout droit des nues
habitat du coeur devenu oxygène

À travers une verrière
l'univers s'incline à genoux sur la nuit

Allongée sur les paumes du quotidien
une femme de connivence avec le bonheur
s'abandonne dans un fou rire
pose délicate comme un fruit incandescent
qu'enrobent les désirs
venus valser sur ses nuits apprivoisées
une femme moulée dans ses parures
pour une fête empirique
transparente parfumée
visitée par les saisons
inscrite au calendrier
revue et corrigée par le mouvement perpétuel
de la tendresse

On imagine aussi les mains déployées
d'un homme à plaisir
venu raser ce rêve dans le jus des sens
devant une bière enivrée d'illusions
quand le temps forge des douleurs sous nos pieds désarmés
échange l'amour contre la mort
ses pitiés naissantes au bord des lèvres
pour inquiéter nos nuits

Quand la vie m'étire à n'en plus finir
j'étire l'avenir jusqu'à demain
j'étire demain pour en finir avec l'avenir
j'étire mes mots pour allonger le verbe
je m'étire dans mon verbe pour conjuguer le désir
à l'être
et n'être plus que l'étirement d'un désir
sur une distance allongée posée sur le temps
un temps étiré par le hasard d'une rencontre
une rencontre qui s'étire sur le devenir
comme si demain n'existait pas

Pour en finir
le verbe me plonge dans ce désir de l'être
en son devenir

Juste un peu plus de vie
pour prendre l'amour par le goût
quand le goût a le goût d'aller dormir
près de la nuit
cette nuit qui veille sur l'amour
comme une vieille amante
échevelée au goût du jour
pas trop tannée
juste encore en vie
pour goûter aux nuits
échevelées par l'amour
Elle est venue
elle était peut-être déjà là
debout en pyjama sur son destin
dans sa chambre virginale
appuyée sur un dégoût
en attendant la conquête
des seins des reins
et autres viscères
dépliant sa nuit
sur le coeur englué
dans son imagerie

Finalement
elle est peut-être venue
mais je n'y étais pas

Devant les jours de banlieues
le temps s'attriste
ces îles roses à l'intimité fragile
îles boiteuses à des années-lumière
îles poisseuses dans le varech des regards
îles érigées à la gloire de l'éphémère
îles savantes pour dérouter le mouvement
des foules
îles languissant comme des pluies
îles mortes déclarées sans avenue
îles ennuyeuses remplies de crépuscules
îles éclatées en plein visage de la vie
Vous avez dit amour
quand on vous aperçoit aujourd'hui
plongé dans un bain de tendresse
pour savonner les mercredis oubliés
vous écrivez amour sur le bout d'une table
entre deux feuilles grises
deux colères
et vos gestes dévastés
par de trop longues heures

Se grave enfin sur la chair de l'autre
votre coeur démesuré
et vous buvez l'amour
quand le corps presse la détente
comme au premier jour
en cette mi-temps de février

Je bois à la source de vos mots délivrés
temporaires
quand la vague soupire
quand le corps n'en peut plus
de vous regarder dans l'embrasure
des montagnes
à travers le songe de vos regards
venus si près de toucher l'indécence
ce velouté du coeur
jusqu'au vacillement des sens
déboutonnés jusqu'à l'os

C'est de l'amour
dans le concentré des jours
quand l'impuissance du geste
s'étire à n'en plus finir
pour espacer les désirs qui se heurtent
aux vives absences

C'est de l'amour
comme un fruit arraché haut et court
à l'automne
un fruit d'hiver mûri à même les délicaresses
quand le printemps s'allume allègrement
aux abords de l'été

Qu'avons-nous à dérober ces gestes
qui ne craignent plus la pudeur
d'embrasser le poète
dans les eaux grouillantes du délire
ni même de tremper nos doigts
dans le suc de l'amour
comme une rosée sur le bonheur
d'être assouvie par de tendres ébats
ce repas que le coeur attend avidement
à travers la bruine des jours
ce doux mensonge pour un monde
inventé par la blessure
de ne pouvoir aimer à n'en plus finir
Quand il fait trop nuit
un nouveau regard vient border mes rêves
abandonnés sur le rivage
qu'une simple lueur vient consteller

Mémoire de la main qui effleure la mémoire
mémoire des yeux qui arpente la nuit
mémoire de la nuit qui parfume l'ennui

Une flamme ardente vient chanter sous ma lampe
des airs sauvages
accompagnés de petites ronflettes
hallucinées

Ne pillez plus ces nouveaux jours
quand le soleil verse son or
sur nos chairs attendries par l'âge des pierres
quand nos yeux pavoisent devant ce rêve
emmitouflé dans un rayon de lune
quand le galbe soyeusement apprivoisé
cherche les contours de la main qui effleure

Sous l'écorce de nos vies
le temps est à l'oeuvre
sculpte dans cette argile
des lumières frêles
que les mots épuisent aux confins de la mémoire

Surgissent alors des amours effrontées

Dans la savane de nos âmes
des loups s'y promènent
avec un goût de représailles
à portée de hurlement
étrangeté qui ressemble à une vocation
jusque-là étendue sur une plage
devant une mer de naufrages
de cris douteux
En vérité
c'est de toi cette senteur du jardin
jusqu'à l'extrême regard incendiaire
à la poursuite des patiences
et des pluies venues

Encore toi
ce pays sans avenue
que l'on transporte en soi
dans la terre fertile du désir

Toujours toi
à la cadence des jours
blottis entre chaque phrase
sans mesure
comme une certitude du présent

L'hiver ne pensait pas qu'il était rendu
là où il était
sous une pluie de glaçons barbares
venue blesser la conscience
des arbres nus
leurs bras ballants
comme chômeur sans cause
et pour cause

L'hiver venu a dérapé sur sa neige fondante
à la dérive
sur la noire habitude de nos gestes gelés

Encore tout chaud
mon jour incendié par l'abondance du rêve
sème dans les sillons de l'amour
un visage habité de réels immenses
une gueule à désir
flanqué d'un sourire limité par la séduction
d'un regard efficace
une peau de sable fin arrachée aux plages

Entre des pieds acrobates
un vertige se répand sur le droit fil funambule

Les yeux assoupis dans une vague d'espoir
retournent au rivage
cette écume de l'émoi

Dérive des jours insensés
vers l'abîme des tendresses
où le galbe rocheux s'étale
sur la surface des eaux
dans l'ébène du soir
d'un enfant infini projeté
dans le regard de l'aube

Ce corps inouï emprisonne le soleil
dans un doute
que supporte mal le ciel blafard

Ciel de tous les regards portés sur la chose
ciel enculé par des évidences
semences du ciel dans le ventre du passé
enfants éventrés dans les décharges du ciel
ciel baisé en silence par des nuits épousées
ciel de vie détrempée dans la sueur des jours

De feu de sang
le ciel me désire

Après maints combats
le coeur essoufflé s'endort ensoleillé
porte en moi ce plaisir de brûler dans l'ombre

Ces seules lignes décochées sur la cible
ressemblent à une coïncidence
quand la raison perd la tête

Posez un timbre de voix sur le mot
envoyez cette bizarrerie au hasard
comme un mot d'amour à la mer

Assoupis
des fragments d'été brûlent sous la peau
comme une promesse aux herbes folles
dans un corps à corps avec les étoiles

Lents mouvements inclinés sur l'âme affamée
suspendue sur un mur de glace
dans lequel résonne un cri d'enfant
assassiné par de trop longues années

Où veux-tu que je dépose mes caresses
lorsque la lune est rouge
lorsque mon cri échevelé vient te dire
que l'amour fermente sous le lichen
lorsque tu danses près d'un gouffre de lumière
lorsque tu marches sur des plages garnies d'apothéoses
et de galets hors saison
lorsque la mer me confie son silence me propose
ses regrets
comme la terre ses alarmes
lorsque tu ruisselles sous l'écorce de tes nuits inventées
lorsque je traverse le pont de tes rires téméraires
lorsque enfin nos mains fleurissent
sous un grand pin argenté
Dans les chairs roses du ciel
une lune magique pose sous le regard des jours irrités
par la rage des heures folles

Heures de plomb à l'épaule
heures des portes battantes
heures tranchées dans le sens du cadavre
heures lacérées par les visages fuyants
heures déshabillées dans un respir
heures qui se bousculent à la porte des foules
heures bleues heures grises comme des pierres étranglées
vive douleur des heures incendiées
heures fragiles et nues dans les chairs roses
du ciel

Votre folie m'habille comme un gant
si près de la lumière
si près des heures libérées par la foudre
de vos rires en relief
sur mes mots éventrés par les silences
les oubliances que je suis
à même ce jour
imprégnée d'alliances
d'enfances étalées sur mes crépuscules
ce foutu mensonge
J'ai les écluses fragiles dans le regard de l'aube
quand mes mains s'abandonnent au vertige
des mots
devant ce phare absent
devant l'image rebelle d'une nuit furieuse
pluvieuse
Au passage
les baisers creusent des habitudes
au hasard des fatigues
lèchent le destin étroit d'un visage oublié
dans le givre des heures
visage abandonné sous le doux regard
d'une étoile lointaine
quand la fête déjoue les ruses
d'un soir exténué
Une promesse de chairs odorantes
provoque des printemps délurés
des échanges de rêves effrontés
derrière une foule triste
essuie gestes et marées sur les visages
à portée de l'esclave
Sur ma page
des mots ondulés me respirent
jusqu'au sein du rêve
me ramènent au coeur des choses
à travers le cristallin de l'âme
ses ébats
dans la chaleur des sexes poétiques
évanouis comme des mystères
déraisonnables
Un cheptel de mots avance lentement
vers l'écrin fertile de mes pensées
en meuglant des souvenirs désespérés
sous le dernier quartier d'une lune d'hiver

Ce brasier du coeur brûle les ailes
d'un horizon étonné
invente des poursuites
dans la brousse des prunelles
des déesses éplorées

Femmes de bois
fibres de terre
de sang trop mûr
assises sur l'humus des âges sacrés
fiançailles englouties dans un bleu éternel

Frémissante
elle reconnaît les cris
comme une exaltation secrète de la source
ses passions qu'elle boit à même la bouche
des échos rythmés
des instants convertis à l'être
autrefois bafoués
sans mémoire
rejette par ses paumes entrouvertes
la raison trébuchante
qu'aucune foi ne peut atteindre
dans l'aube assassinée
Il fait jaune feu dehors
à travers les arbres déchus et mauves
devant ce jour poudré d'indifférence
égaré dans le vin de l'aube
ennivrée

Comme un rendez-vous avec la mémoire
ce feu à côté de moi
me projette dans le plein des choses à écrire

Tranquillement demain me lira
apaisera le fer à 23 heures pile
mais comment en être sûre ?

Une mémoire constellée
glane les langues assoiffées
mystère des mots sanctifiés par le poète
sous l'emprise d'un verre offert
pour évaporer les désirs inconscients de l'Être
dévorantes failles engorgées de désirs
décapsulés
bus jusqu'à la lie
Au coeur de l'essentiel
le silence mijote des réponses
condamnées à éblouir les peurs
à hauteur du vrai
en ce jour dessiné
inévitable
aux aguets
Rage folle des amours punitives
doux labeur de questions
pour nos âmes affamées 

Rage folle des amours démembrées
par les jours indomptés
d'un coeur fauve insondable

Rage folle des amours déchiquetées
ensevelies sous les bruits
de nos pas inévitables

Rage folle des amours libertaires
abandonnées dans un cri

Cette femme désertique apprend en silence
mais le silence ne lui répond pas

Elle se chuchote les mots amoureux du temps
répand ses cris en rafales
sur des tissus brodés d'étoiles
retenant la pluie d'un visage abruti

Elle rêve
elle rêve aux doux gémissements amarrés
au quai d'un grand lit
sème sur des pierres
les fines herbes de son coeur éclaté

Abandonnée devant un soleil trop pur
la joie s'écrira peu à peu
sur le blanc de l'âme imaginée trop grise
que les couleurs transporteront
sur les ailes du vent

Le meilleur s'en vient !


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© Éditions En Marge et Huguette Bertrand
Dépôt légal / mai 1997, 70 p.
Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
ISBN 2-921818-14-0 - Tous droits réservés


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