Première partie

 

LES VISAGES DU TEMPS

Tellement loin
tellement proche
quand ça fourmille d'habitudes
de grimaces
entortillées autour du présent

ça remonte et ça descend
des rivières infinies
frôle les astres
dans l'immensité du coeur
ses musiques d'accords brisés
fragments d'un noir soleil
répandus sur la peau des fleurs
rosée matinale
sur le visage
toujours révélé
par le frisson des pas absents

Cette faim d'hier soulève
les heures mortes
caresse le contour des saisons
quand tout commence à frémir
dans ce gel du temps
gel de nos temps racoleurs
s'agrippe
entenaille les désirs
désirs de retrouvailles
des premiers sons de la terre
me transportent sur leurs vagues
dérivent sur une lumière
au gré des mouvements tendres
fulgurants
m'empoignent me ramènent
sur des grèves impossibles
vibrent de mots naissants
vont me perdre dans le silence
à tout jamais

 

Naître dans le giron des couleurs nues
les poings endormis
entourés d'une paix naissante
bien avant le geste amoureux
déjà tendu vers l'autre

D'où vient cette soif
que les jours n'abreuvent pas
tant est si dense le chant des sens
en ce costume que porte la vie
sur la scène de tous les drames
conjugués aux comédies
en volutes danse sur les jours
si denses
cette science du silence
 
À coup de griffes
la vie folle bleue
se promène dans les noirceurs
déshabille l'âme
sur un vieux lit défait
viole les heures tendres
dérive sur l'errance
déchire le ciel
ses lambeaux

Avalé par la mémoire
le corps à l'équinoxe bouscule les mots
puisés sur les lèvres de mai
jusqu'au rêve fané
de décembre

SI TANT DOUX

Si les ailes te poussent
rose de nuit
la lune te semblera
ailée
la nuit te portera
vers des étoiles
à faire craquer le coeur
si tendre si doux
si tant doux
au temps doux du temps

PLEIN SILENCE

Note après note
une musique appelle
le mot d'amour
échoué à contre jour
devant une porte close
à double tour
enferme la farandole
d'années nanties
dans le néant
enferme les notes
enferme le mot
enferme le jour
danse autour
effleure la lune
son silence

FONTE

Ce ciel d'avril lance ses éclaboussures  
de soleil fondant  
sur mes âges fragiles

J'ai mille ans peut-être même plus. Je ne compte pas mes pas d'un temps défini. Je préfère l'infini, l'ailleurs, l'innombrable. J'erre au delà des habitudes. Je parle en langue svelte, langue incontournable des émois lancinants. Un lance-émois, une plate-forme pour les âmes habituées au silence. Lancez-moi par-dessus bord et je ferai dix vagues a capella. J'accaparerai vos émois à en faire sauter vos fusibles. Sans doute qu'il fera noir. Mais le noir, ça n'a jamais tué personne. S'il n'y avait pas de noir, on ne pourrait le comparer au blanc. Pellicule renversante plongée dans l'onde d'une âme multiple en tournée dans le sens des aiguilles. Ne laisse aucun repos dans le lit des indépendances. Ne laisse aucun choix d'approuver ou de désapprouver. Ne laisse passer qu'une infime lueur à travers le voile opaque de la peine heureuse.

Ne reste qu'à parler du silence têtu  
à travers le grillage des interruptions  
des absolus dans ce rêve infini d'images  
de sens livrés au sens 
un silence de mort prématuré  
rassembleur de fausse monnaie

INSPIR LIQUIDE

Mieux vaut semer de l'herbe
que de semer de l'eau
le végétal comme une douleur
plongée dans l'oublié liquide
sans importance
sans connaissance

MYSTÈRE DES BÊTES À PAROLES

Drôle de bêtes emprisonnées dans des corps trop lourds. Prisons humaines dans le jouissif des séductions, éclatent en moments insaisissables, s'écrivent et fusent essentiel à travers le voile
du non dit.

Fuse la paix des linges transportés par les marées
Fusent les marées silencieuses jusqu'à l'intime des solitudes
Fuse la solitude parmi les lueurs de la beauté
Fuse la beauté des langues apprises dans le secret des complicités
Fuse la complicité des mots approuvés par le désir
Fusent les désirs jumelés aux verbes entretenus
Fuse le verbe fermenté
dans l'écho
dans l'espace
dans l'extase

PLAGE SAGE
 
Dérive des eaux
jusqu'aux lèvres
abandonnées
à l'ivresse des plages
Dérive des mots
vers les sables mouvants
de la chair invisible
Dérive du temps
ses mouvements ondulés
par le coeur accueillis
Dérive des mains
sur la lune offerte
au vertige des mots

FRÔLEMENT DROLEMENT

Au jardin des prononciations
une parole remue la terre
creuse des sillons
sème des signes vertigineux
quand la main frôle
l'instant
ERREMENT

Les vertiges parcourent
les nuits ondulées
vestiges des mouvances
d'une lune ancienne
délaissée sur la page
des enchantements
À L'ÉCRAN L'ERRANCE

Quand les battements sont de rigueur
le convenu devient obscène
de nulle part de partout
la langue viole l'indicible
se moque des chastetés intelligibles
en ces moments d'ablution sous-marine
sous-jacente
emportés dans ce remous
des voix caressantes
donne du sens aux sens
dans les parfums que répandent les cris

À l'infini des courbes
les odeurs du silence rampent
jusqu'à l'essentiel
encerclé par les instants
d'une surface démesurée
espace des transfigurations
RESSEMBLANCE

En leurs chastes tutoiements
les solitudes s'absentent
jusqu’au quai
des emportements
où la vague s'obstine
touche
secoue
prononce la courbe
du corps des mots
dans l'espace hume
le parfum
des cris poreux

Long comme le jour
un baiser se prolonge
dans l'interdit
croisent les langues perdues
dans ce lieu fluide
des rapprochements
ENTRE GUILLEMETS

Perdus dans les forêts du Nord, les secrets glissent dans le silence, accordés aux bruits d'un big town, dans une chambre errante entre les errances, s'absorbent, dérivent sur les jours.   
entre guillemets
reposent
me reposent
sur un temps démesuré
me projettent sur l'aube d'un regard nu
le ventre aspiré par les battements fluides
du va-et-vient des mots
en ce non dit de l'existence

insatiablement
le silence des nuits
enchante
le contour des jours

CRUE ROSE

Éveillée
la chair se conserve dans le miel
et le blanc des mots
réinventés
 
promesse
utopie
crue rose
rapt
quand le printemps bouge
traverse la sphère
en son délire
ses errances

AU COEUR L'INSTANT

...et l'ombre la regarde sous sa nappe brillante comme le jour ressuscité
la regarde à travers la main qui tire les mots hors de l'ombre
Cette main ensoleillée pose ses empreintes au coeur de l'instant
verse des lumières effervescentes sur l'horizon
devant la mer enroule les jours
autour du corps
dressé

les écrits la déplient
la fibre suit le mouvement des vagues
dérive le paysage
en sa nuit

LE TEMPS ABOLI

Les nuits me déportent dans l'absurde
les matins me transportent sur les dunes
les déserts me reconnaissent
les étoiles aussi
j'efface les habitudes les croix
incrustées dans les sables du temps
en mouvement
je plonge à vif dans mon Nord
me soumets au prolongé des heures
dans l'eau
dans le vent
dans les cris
devant les oiseaux
étonnés

TRACÉ

Dans le suivi du mouvement, des murmures renaissent, toujours renouvelés malgré l'absence, dans ce jus humain comme un rappel de nos ressemblances.

Dans sa fureur
l'être caresse la matière
vibre à travers la couleur des émois
retenus
redépose sur le corps embrassé
une lumière entrevue
écho fluide d'une renaissance
fécondée dans le mouvement
d'une tendresse infinie

Elle s'en retourne aux abois sur le tracé invisible d'une mémoire vive

PRONONCIATION

Les mots me parcourent dans tous les sens
par ma démesure
toujours me ramènent
à l'essentiel

ce ne sont pas que des mots
c'est une parole qui se prononce
dans le prononcé de l'être
c'est une mémoire en mouvement
me déchaîne
me renvoie au silence
me reprend me projette
entre les failles des murs
au menu de l'interdit
SOUSJACENDRES

En ses coulées
une montagne
écoute les plaintes
d'un monde éclaté
douce violence
douce présence
doux est l'écho
souvenu
trop forte chose
trop forte dose
oeuvrent les désirs
en ce silence
phosphorescent
PACTE IMPACT

Liée au blanc originel
une absence hante l'histoire
cache ses échos sous la langue
renouvelle la couleur du vivant
ses coulée de lumière
déversées sur des montagnes de silences
projette sur le tableau
l'image d'un chant immobile
SUEURS D'ENFANCE

À même la vie
les petits esclaves
que la cupidité soustraie
de leur enfance
ne chôment pas
de leur âme perlent
des sueurs
sur leurs rêves
désenchantés
ils rampent vers leur nuit
abandonnée à l'espoir
d'un simple sourire
au coeur de leur émoi
CONTACT

Des poussées de violence
contenues
dans un tout petit rien primaire
s'épellent
sur quelques lignes partagées
éclatent sur les jours
sans fracasser les fenêtres
CONSENTEMENT

Ah ! la vie folle
la folle vie
toujours transporte
nos aujourd'hui
dans les ailleurs
quand les ailleurs
ne portent plus la vie
à son meilleur
enferme le trou
dans son égout
retrouve la folle
retrouve la vie
la folle vie d'ailleurs
l'ailleurs la vie
follement consentie

TRILOGIE SARCASTIQUE

and a one

Vomir la vie
rêver l'amour
autour des nuits
renverse les jours
des alentours
retire l'amour
retire la vie
la mort s'ennuie
salut bonjour
Ne reste
que mots d'amour
rêvés de nuit
toujours envient
la vie des morts
que je salue
dans l'aujourd'hui
and a two

Ceci est un poème mort
de sa belle vie
enterré
dans l'humour
des alentours
Qu'il en soit ainsi
De l'amour
de la vie
de l'humour
pour ma nuit
à mourir de rire
and a three

Maniganceries
en ce début
de jeune nuit
la poésie m'assaisonne
de mots
pour enjoliver la tristesse
des abandons
déploie ses ailes fluides
sur mon âme insipide
et gelée
se grise
se brise
sur le rocher
des fuites
oubliant de se payer
une cuite
BLEU FRAIS ET FLUIDE

L’éclat des feux
des orages de la nuit
sillonnent les jours rouges
fait place au bleu frais fluide
des recommencements
toujours s'inspire au passé, s'amalgame au présent, délivre l'instant

Ce vertige indomptable agrippé à l'écho des cendres, traverse le ciel endommagé
se transmet fluide à travers les éclats de vide, le plein des sens, les sens abreuvés à la source des couleurs toujours fauves des mots transfigurés

Le temps s'étire
le temps chavire
en ces jours nonchalants
qu'un hiver attend
CHAUD ET COLLANT

Sous l'apparence
des dehors desséchés
les heures lèchent
les aisselles
d'une mémoire ruisselante
lancent le jet des douches
réclamé
par la passion
des amours habitées
PLONGÉE

Insoutenable regard
traversé par les jours
cette emprise invisible
que transporte la parole
en eaux vives
de l'ivresse
de la chute
en plongée jusqu'à l'être
en remous
en silence
en sourires
transportés par le vent
vers ce lointain regard
recueilli
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© Éditions En Marge et Huguette Bertrand
Dépôt légal / octobre 1999, 61 p.
Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada,
ISBN 2-921818-16-7 - Tous droits réservés

 

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